Gros, moyens et petits bobos cinématographiques | Mauvaise Herbe
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Gros, moyens et petits bobos cinématographiques
Publié par Mauvaise Herbe le 29 oct, 2013 dans Cinéma | 2 commentaires
(Où ce que vous n’entendrez pas souvent au sujet de l’industrie cinématographique québécoise)
Le Québec est un terreau fertile en terme de cinéma et produit à chaque année un nombre impressionnant d’œuvre d’une grande qualité. Pour une province ne comptant que 7 millions d’habitants, le rayonnement à l’étranger des films qui y voient le jour est phénoménal. Des présences annuelles à Cannes, Venise, Sundance et Toronto ainsi que trois nominations consécutives pour l’Oscar du meilleur film étranger en sont la preuve.
L’envie de me prononcer sur l’état de l’industrie cinématographique québécoise m’est venue quand Julie Bilodeau, jeune journaliste étudiant en ATM (Cégep de Jonquière), m’a questionné au sujet d’un rapport devant sortir la semaine prochaine dans lequel il serait question d’implanter une nouvelle taxe sur les billets de cinéma afin d’en redistribuer les revenus aux productions québécoises.
Avant de continuer, je me présente : Jimmy Larouche. Disons simplement que je suis un cinéaste québécois qui a produit et distribué un premier long-métrage au printemps 2013, qui vient de terminer le tournage d’un second long-métrage, que je suis titulaire d’un baccalauréat en marketing et que, par dessus tout, je suis un passionné de cinéma.
À moins d’être myope comme une taupe, vous n’êtes pas sans savoir que ça ne va pas très bien ces temps-ci, côté box office, pour le cinéma québécois. Fait important à noter, ce n’est toutefois pas seulement notre cinéma qui en arrache. Ça va de mal en pis pour l’ensemble des industries cinématographiques. Disons que la montée d’Internet comme outil de diffusion des arts n’aide pas. Mauvaise nouvelle… Internet ne va pas disparaître
L’industrie de la musique vie la même crise que le cinéma, à une différence près: les concerts. Les bons groupes de musique continuent de trouver un public pour remplir leurs salles. Les musiciens tentent tranquillement de s’approprier Internet à leur avantage plutôt que de vainement le combattre. Il y aura toujours des gens prêt à débourser de l’argent pour assister à de bons concerts rock. Pourquoi ? Parce que c’est génial d’entamer le refrain d’une chanson qu’on adore en compagnie de 1000 autres personnes.
Ça devrait être pareil pour le cinéma, mais ça ne l’est pas. Vous pouvez avoir un écran 72 pouces, un cinéma maison, un confortable lazy-boy et du popcorn à 25 cents le sac, jamais votre salon ne pourra vous offrir le bonheur de sursauter parce qu’une vieille dame assise deux rangés plus loin, a crié tellement fort qu’elle en a perdu son dentier. La joie d’être gagné par le rire contagieux d’un gros monsieur souriant. Sentir soudainement le silence vous envahir, parce que 200 personnes retiennent leur souffle pour ne pas pleurer. Jamais votre salon ne pourra vous offrir cela. Nous semblons avoir oublié à quel point le cinéma peut-être une belle expérience de groupe. Vous irez voir un show de Mario Jean où il n’y a que 8 personnes… Vous me direz si c’est aussi drôle.
Qu’on cesse de dire que c’est le public québécois qui ne s’intéresse pas aux œuvres cinématographiques d’ici. C’est faux. Demandez aux gens de Trois-Rivières pourquoi ils n’ont pas été voir « Les manèges humains». À ceux de Rimouski pourquoi ils ne furent pas plus nombreux à visionner « Camion ». La raison est simple : ils en ignorent l’existence. Faites l’expérience avec votre entourage, demandez à vos oncles, vos tantes et vos voisins, s’ils connaissent Anne Émond, Denis Coté ou Raphaël Ouellet. Pourtant, ces cinéastes et leurs œuvres ont parcouru les festivals à travers le monde entier.
Prenons l’exemple de « La cicatrice », mon premier long-métrage, qui fut en quelque sorte un échec au box office, avec des recettes de seulement 30 000$.
Ce film est sorti dans 17 salles au Québec. Un nombre considérable si on le compare au nombre de salles moyen dans lesquelles sont présentés les films québécois indépendants dit « d’auteurs ». Qu’on ne me dise pas que les salles d’ici refusent de présenter les films d’ici. Quand un distributeur indépendant (comme moi), réussi à sortir le premier long-métrage d’un réalisateur inconnu (moi) dans 17 salles, c’est qu’il y a au minimum une certaine ouverture de la part des exploitant de salles à présenter du contenu québécois. Pourtant, malgré cette forte présence en salle, « La cicatrice », n’a généré que 30 000$ au box-office. Le film était mauvais ? Pas si on se fie aux critiques de « La presse », du « Voir », du « Journal de Montréal » et de « The Gazette » qui lui ont donnés des notes allant de 3 à 4.5 étoiles sur 5.
Prenons maintenant en exemple un succès récent en terme de box office québécois: «Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde». Pourquoi le public s’est-il rendu en masse au cinéma pour visionner cette oeuvre ?
1-Il s’agit d’un excellent film ;
2-Environ deux millions de dollars ont été investis en publicité par le distributeur pour faire en faire la promotion.
« La cicatrice » a bénéficié d’un budget publicitaire de 20 000$. C’est 100 fois moins que « Louis Cyr ». Si on fait le calcul, 30 000$ de recettes multiplié par 100 fois plus de publicité, ça donne 3 millions… Ça commence drôlement à ressembler aux entrées en salles générées par l’homme fort québécois… Malheureusement, la réalité n’est pas aussi simple. Même avec un budget de publicité similaire à celui de « Louis Cyr », nous n’aurions jamais atteint un box office aussi élevé avec « La cicatrice ». Simplement parce qu’il ne s’agit pas d’un film aussi grand public. Par contre, je peux vous assurer que si au lieu de 20 000 $, nous avions eu 200 000 $ à investir en publicité et promotion, il aurait été très réaliste d’envisager des recettes de près de 300 000$ pour « La cicatrice ». Pourquoi ne pas avoir investi davantage en publicité et en promotion ? Parce que nous n’avions pas l’argent nécessaire.
De nombreux films indépendants et/ou d’auteurs sont produit à chaque année au Québec. Plusieurs d’entre eux ont une qualité similaire ou supérieure à « La cicatrice » et sont distribués par des distributeurs reconnus tel que Séville, Crystal Films et Alliance (petite blague d’initiés). Comment se fait-il alors que ces distributeurs, qui ont accès à un IMMENSE soutien de la part du gouvernement, quand on le compare à celui reçu par « La cicatrice », n’arrivent pas à offrir à ces films une sortie en salle de l’ampleur de celle de « La cicatrice » ? On parle d’œuvres d’une grande qualité, encensées par la critique d’ici et d’ailleurs, qui ne sortent que dans 2, 3, voire 4 salles à travers le Québec…
-Et si ce n’était pas avantageux pour les grosses compagnies qui distribuent ces films de les sortir dans un plus grand nombre de salles…
-Et si le coût pour assurer une plus large sortie en salle était plus élevé et devenait donc un plus grand risque…
-Et si ces gros distributeurs se contentaient d’utiliser les subventions qui leurs sont remises afin de continuer à faire rouler leur grosse machine et à pouvoir faire la promotion d’œuvres qu’ils jugent comme étant moins risquées…
-Et s’ils gardaient les dates de sorties les moins intéressantes pour ces œuvres indépendantes, afin de conserver les meilleures dates pour les films québécois en lesquels ils ont plus confiance ou encore pour les films européens ou américains qu’ils distribuent également…
Le Québec produit un cinéma d’une grande qualité et c’est en grande partie grâce à des programmes comme celui du «Soutien au cinéma indépendant» de la SODEC et à son équivalent chez Téléfilm Canada. Par l’attribution de prêts (subventions…), non pas en fonction du potentiel commercial, mais en regard des qualités artistiques inhérentes aux œuvres, ces institutions réussissent à faire en sorte que la crème de la crème, parmi les nombreux projets de films à leur être soumis, puisse voir le jour. Là où ça se complique, c’est lorsque ces mêmes institutions décident de remettre des subventions à des distributeurs privés qui, à la base, ne croient que peu au potentiel de succès des films indépendants qu’ils choisissent de distribuer. Pourquoi acceptent-ils de distribuer ces films s’ils ne croient pas en leur chance de performer en salle?
-Peut-être que ça leur permet de conserver le statut de distributeur reconnu auprès des institutions et de recevoir les « bidous » gouvernementaux qui accompagnent ce statut;
-Peut-être que sur ce genre de films, les distributeurs font leur argent en limitant au minimum les frais de sortie en salle, pour ensuite percevoir les revenus provenant des ventes DVD, télé et Internet.
Parlons un peu des salles de cinéma maintenant.
15$ pour un popcorn, une liqueur et une barre de chocolat. So what? Le billet de cinéma est à seulement 10$ après tout… Si le monde est prêt à payer, il est où le problème ? C’est ça une société capitaliste, wake-up gang ! Il ne faut pas oublier que les salles se remplissent pour « Batman 12 » et « Superman 14 ». Les propriétaires de salles, c’est leur argent qu’ils risquent. Ils ont le droit de vendre leur popcorn au prix qu’ils le souhaitent. Et certaines fois, quand ils ne font pas assez de cash avec le popcorn, les propriétaires de salles pigent dans la partie des recettes qui devraient normalement revenir aux distributeurs et aux artisans du cinéma québécois. Je ne parle pas de Guzzo ni de Cineplex, eux sont trop gros et trop vérifiés pour se risquer à de pareilles pratiques. Je parle des plus petites salles. De celles qui, comme les pauvres cinéastes québécois, ont de la difficulté à survivre. C’est comme si Robin des bois volait aux pauvres pour redonner aux pauvres. Vous ne me croyez pas ? Un gros distributeur québécois a cessé de présenter ses films dans une salle de la ville de Québec (dont je vais taire le nom) pendant un an parce qu’il était écoeuré de se faire voler une partie des recettes lui étant dues.
Parlant recettes, voici comment ça fonctionne au Québec : L’exploitant de la salle perçoit 10$. Il garde 50% de ce montant pour lui et remet 50% au distributeur. Le distributeur remet ensuite une partie des profits générés par le film au producteur. Dans la réalité, le distributeur ne remet jamais rien au producteur, parce que le distributeur trouve toujours une façon de générer des dépenses à l’interne pour qu’il n’y ait pas de profit. Et le producteur, il s’en sacre, parce que son cash il l’a fait avec les gros « bidous » gouvernementaux qui lui ont été remis pour produire le film.
Pas très joyeux le portrait de notre industrie cinématographique québécoise… Pourtant, rien n’est perdu. La base est bonne. Tant que nous produirons des films d’une aussi grande qualité, il sera possible de leur trouver un public. Le système de distribution des œuvres québécoises est de plus en plus désuet et il faut se permettre de le remettre en question, plutôt que tenter de le sauver à tout prix. Il faut redonner envie au public québécois de consommer le cinéma d’ici. Il faut que tous les acteurs de cette industrie cesse de se comporter en loup les un envers les autres, et qu’ils agissent davantage en bergers. Voici une liste de propositions plutôt simples qui selon moi méritent d’être analysée :
-S’assurer que les montants attribués par la Sodec et Téléfilms Canada pour l’aide à la promotion des films québécois ne soient plus remis aux distributeurs (qui les dépensent ensuite de façon arbitraire), mais plutôt remis directement aux producteurs des films, via le jugement d’un comité de sélection impartial, au mérite de chaque œuvre. En gros, gros, faire comme ça se fait déjà pour le financement offert en production.
-Éliminer progressivement cet intermédiaire de moins en moins nécessaire qu’est le distributeur. Nous sommes à l’air de l’internet, pourquoi ne pas créer un portail ouvert à tous les exploitants de salles. Toutes les œuvres québécoises y seraient accessibles pour visionnement, avec un bref résumé, une bande annonce, des posters, etc… Les exploitants choisiraient eux-mêmes les films qu’ils souhaitent présenter dans leurs salles. La Sodec et Téléfilm pourraient les encourager en offrant des subventions d’aide à la promotion pour chaque film québécois que les exploitants de salles choisissent de programmer.
-Diminuer de manière significative le coût des billets de cinéma, du popcorn et de la liqueur, afin de permettre au cinéma de se démarquer au sein de l’offre global de divertissement à laquelle est soumis le public québécois. Privilégier l’approche de la saucisse Hygrade, « plus on en mange, plus elle est bonne ».
-N’exiger que 40% des recettes aux exploitant de salles, afin que les films québécois deviennent plus attirant en comparaison aux blockbusters américains qui eux exigent 50% des recettes.
-Imposer un quota de films québécois devant être présentés en tout temps dans les salles d’ici, comme ça se fait en France et comme ça se fait sur les ondes de nos radios pour la musique francophone.
-Organiser des happenings, dans chaque grande ville de chaque région du Québec pour donner une chance aux productions cinématographiques québécoises de se faire connaître à l’extérieur de la métropole montréalaise. Louer des salles pouvant accueillir de 500 à 2000 personnes, présenter des visionnements uniques du film (si c’est sold-out, faire des supplémentaires), avec tapis rouge, présence des comédiens principaux, des artisans du film. Faire des séances d’autographes, des remises de posters, des questions/réponses après les visionnements. Organiser des soirées thématiques qui se terminent en grosse fête avec la présence d’un DJ, tout ça pour un modeste 30$. Si c’est trop cher, 20$. Encore trop cher, 10$. Si c’est bien fait et que la place est pleine, 1000 fois 10$, ça fait 10 000$. En faisant cela dans seulement 10 villes, il est possible de générer 100 000$, ce qui est déjà beaucoup plus que la grande majorité de ce que récolte en salle les films indépendants québécois. Peut-être que ces événements sauront générer un buzz autour des films qui en seront à la base. Qui sait, peut-être que les gens qui n’auront pu être présents lors du happening voudront ensuite voir ce film.
-Favoriser la production de films intelligents et grand public à la fois, dont les budgets oscillent entre 2.5 à 3.5 millions de dollars (Incendie, Monsieur Lazar, Gabrielle, Rebel…), plutôt que les mégas productions à 7-8 millions de dollars, supposées être grand public (Les dangereux… L’appât »…)
-Cesser de se voler entre frères.
-Ne jamais, au grand jamais, ajouter une taxe sur le prix des entrées en salles !
Si toutes les réflexions amorcées dans cette lettre ne mènent à rien. Si les pistes de solutions proposées s’avèrent grotesques et inapplicables. Personne ne pourra me reprocher de ne pas m’être battu pour une cause qui me tient beaucoup à cœur, la santé de NOTRE cinéma québécois.
Jimmy Larouche
Cinéaste, producteur et distributeur québécois
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2 Commentaires
oct30
Myriam, cinéaste
Merci beaucoup pour ce texte qui fait une critique honnête, de façon intelligente tout en donnant de bonnes pistes de solutions. En espérant que vous serez entendu …
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oct30
Angèle Gagnon
Je suis impressionnée par la solidité des arguments. Il faut que cela soit propagé le plus possible. Bravo Jimmy!
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