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Il faut qu’on parle de silence

Publié par Marie-Christine Lemieux-Couture le 11 nov, 2014 dans Chronique | 7 commentaires

C’était à prévoir, le contre-coup. Dès qu’on parle de culture du viol, de rapports de force entre les sexes, d’une socialisation de ce rapport de genres, de violence symbolique systématique, on entre dans une zone d’inconfort. J’en ai parlé dans mon dernier billet. Mais j’insiste, parce que devant le déni qui cultive le silence, reste la parole.
En matière d’agressions sexuelles, une critique socialement acceptable ne saurait reposer sur autre chose (du moins en apparence) que sur des points juridiques : la notion (souvent floue) de consentement, la présomption d’innocence, le système de justice vs le tribunal populaire, le raccourci entre dénonciation et délation, la supposition que la victime est en fait une femme vengeresse qui dévirilise l’homme à grands coups de diffamation, de fausses accusations et d’atteinte à la réputation alors qu’elle désirait ce qui lui est arrivé au fin fond du fond de l’histoire. Bien que je considère la présomption d’innocence comme quelque chose d’essentiel, il en résulte une violence symbolique d’une rare puissance lorsque celle-ci est utilisée pour nier le bénéfice du doute qu’on devrait accorder à la victime.
Remonter le pendule
Si, dans les derniers mois, on a vu des victimes prendre la parole sur les réseaux sociaux sous des hashtags tels que #YesAllWomen, #BeenRapedNeverReported ou #AgressionNonDenoncee, ce n’est pas pour quémander des lynchages publics. Il faut répéter à outrance s’il le faut, à ceux qui ne sont pas sourds — mais qui ne veulent pas entendre —, qu’il s’agit d’un acte volontaire de rupture du silence pour entamer un dialogue social sur l’échec des institutions (policières, juridiques, médicales, voire familiales et sociales) à offrir un espace sécuritaire, basé sur la confiance et le respect, qui permette aux victimes de témoigner. Il s’agit de dire que si le silence fait légion, ce n’est pas parce que ces agressions n’existent pas.
Plus largement, cette parole enfouie qui se libère montre la systématisation de la violence sexuelle. Il n’y a pas, ici, d’adéquation entre la systématisation de la violence sexuelle et les hommes, la saison de la chasse n’est pas ouverte. Cette systématisation est basée sur une socialisation des deux genres, hommes et femmes. Dire que quelqu’un participe de la culture du viol parce qu’il banalise les actes de tripotage des mononcles ou des maris qui pratiquent impunément le « viol consentant », ce n’est pas le traiter de violeur ou l’accuser de complicité de viol. C’est dénoncer un mécanisme par lequel quelqu’un se sent justifié de normaliser un comportement abusif, c’est refuser que soit diminuée la douleur d’autrui parce qu’il n’y aurait pas (selon quels barèmes) de traumatisme ou qu’un contrat de mariage inclut aussi le pire.
Il convient de rappeler que ce mouvement repose sur un objectif de rassemblement de paroles, de solidarisation, d’appel à l’écoute et à la prise de conscience sociale. Les langues ne se délient pas dans la volonté d’accuser le singulier, elles cherchent le dialogue du général. Nous ne sommes pas en train de monter l’échafaud qui répondrait à l’agenda caché d’un tribunal populaire, nous questionnons l’état actuel des choses. Parler ne transforme pas l’espace public en hécatombe de violeurs présumés, mais parler dénonce la fosse un peu trop commune où s’entrecroisent les récits de victimes. S’il y a une intention derrière le partage de ces récits douloureux, ce n’est pas de cibler des têtes à guillotiner, ce n’est pas de mettre tous les hommes au banc des accusés, mais c’est de réfléchir ensemble à des voies alternatives ou à des correctifs à apporter pour remédier à une situation dont nous sommes responsables collectivement.
L’agoraphobie derrière une idée de la Justice
La Justice n’est pas donnée à tout le monde, ni dans la réparation des torts causés, ni dans la capacité à interpréter les lois. Est-ce que cela est corollaire d’une vision dédaigneuse d’une plèbe agressive incapable de jugement devant une idée de la Justice ? Malheureusement, un peu. Est-ce que l’élitisme rend le système judiciaire plus juste ? Malheureusement, non.
Jusqu’à présent, les dénonciations visaient des situations et non des personnes en particulier, contrairement à ce que certains semblent penser. Alors, pourquoi faire une association d’idées entre dénonciation et délation sinon pour discréditer la parole de cette plèbe hideuse et ignorante que l’on voudrait croire en dessous du seuil nécessaire d’intelligence pour avoir une perspective éthique du social ? Pourquoi chercher à la loupe le peu de témoignages où des gens ont été nommés pour monter en épingle le mythe de la vengeance personnelle au sein d’une collectivité incapable de se prendre en charge parce que trop émotive ? Pourquoi discréditer le général à partir de la supposition que le particulier est machiavélique, supposition qui ne repose sur rien ?
Je n’ai pas de solutions en matière de Justice concernant les agressions sexuelles, je ne suis pas juriste. Je sais cependant que le système est déficient. Les chiffres et les études sont parlants. Mais si on prenait déjà pour acquis que parler d’une agression n’a rien à voir avec la vengeance personnelle et la vindicte populaire ? Si, oh twisted mind que j’ai, on entrevoyait la possibilité qu’en s’ouvrant sur son expérience, la victime n’est pas en train de détruire la vie de quelqu’un, mais de chercher de l’aide, pour elle-même et même, pourquoi pas, pour l’agresseur ? On le voit par les accusations qui se retournent contre elle : une dénonciation publique ne profite généralement pas à la victime. N’est-il pas ironique de lyncher les victimes sous prétexte qu’il ne faut pas lyncher un présumé agresseur ?
Des pistes de réflexion sur des alternatives ont été abordées, lancées et bien souvent discréditées en ce début de semaine qui résonne comme un réveil brutal pour plusieurs d’entre nous. De l’éducation populaire à la formation des professionnels en milieu de travail ; en passant par le retour des cours de sexualité à l’école ; une meilleure formation des corps policier, médical et juridique ; ainsi que l’élaboration de modes de justices alternatives : les idées ne manquent pas, mais le mur du mépris est haut.
Il est possible, par exemple, d’encadrer un agresseur sans pour autant le criminaliser. Une démarche de justice réparatrice vise à prendre acte collectivement des agissements inopportuns de quelqu’un, à apporter l’appui dont elle a besoin à la victime et à responsabiliser l’agresseur. Si l’on ne réduit pas le discours des victimes au mensonge, si on ne banalise pas leurs souffrances, si l’on croit qu’on peut aider un agresseur à se défaire de ses mécanismes de violence, il me semble qu’on peut entreprendre une démarche sérieuse concertée et encadrée dans son milieu. Ce n’est pas vrai que parce qu’une victime ne désire ni déposer une plainte officielle, ni voir son agresseur en prison, que ses accusations ne sont pas fondées. N’oublions pas que si les démarches officielles peuvent être douloureuses pour la victime et que le système en place pour procéder à la plainte n’est pas sans faille, on peut aussi avoir de sérieux doutes sur la capacité du système carcéral à réhabiliter les détenus.
Je n’ai pas de réponses toutes faites concernant ces alternatives, sinon qu’elles méritent d’être au moins discutées. Chose certaine, il convient d’ouvrir des espaces sécuritaires de dialogues pour réfléchir en dehors des attaques binaires, simplistes, qui relèvent du réflexe conditionné d’une société minée par la violence symbolique.
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7 Commentaires

nov11

Confidentiel
T’écris bien, je te lis depuis longtemps, je suis les dénonciations et les encourage même. Pour la première fois je me sens obligé de commenter mais confidentiellement sous la gouverne de mon avocate, tu comprendras.
J’étais prof, on n’a pas baisé, elle m’a menacé après que je lui ai fermé la porte au nez et 7 ans plus tard, le procès et tous les fantômes de ses mensonges perdure. J’ai pourtant reconnu mes torts dans l’histoire et toujours dit la vérité, 7 ans plus tard, le système me pourrie encore la vie sans même savoir trancher.
Je ne peux plus enseigner et toutes situations d’autorité envers un mineur m’est interdite à l’emploi, penses-y, ça fait beaucoup, parce qu’elle avait 16 ans, et j’aurais plein d’autres conditions de libération à énumérer pour simplement dire qu’on n’est pas innocent jusqu’à preuve du contraire dans notre système, c’est une illusion, et si les présumées victimes voudraient plus que ça pour soigner leur symbolique, faudra à ce moment là lui expliquer qu’il n’y a pas que sa parole et que le système juridique fonctionne d’une certaine façon pour pas que ça verse pas dans vengeance et qu’elle ne la guérira d’ailleurs pas.
J’ai même pas abusé et je subis des conséquences très lourdes et je supporte quand même les dénonciations, j’en vois la nécessité, mais qu’on ne dise pas que les accusés seront innocents jusqu’à preuve du contraire, soyez certains que les policiers se donnent à coeur joie d’imposer toutes les conditions de libérations qu’ils le peuvent, souvent pire qu’une sentence.

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nov11

Marie-Ève
Merci. Un excellent texte. Bravo!

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nov12

Andalouse
Ce qui m’a surtout marqué, la semaine dernière, c’est la rapidité avec laquelle on rejette du côté des « cochons » (Yves Boisvert, La Presse) tous les hommes qui ont eu un comportement sexuel non axé sur le partage du désir, du plaisir ou du consentement. Ainsi, tous continuent à pointer du doigt l’Autre, et personne ne s’interroge sur soi ou sur la conception de la sexualité qui nous est inculquée. Il serait grand temps que l’on distingue désir et amour, puisque la marge est si mince entre ces deux notions que l’absence momentanée de l’un devient synonyme de l’absence l’autre. Dans une société où dire non revient à dire « je ne t’aime pas » et où se faire dire non équivaut à un rejet émotif, où se trouve la marge pour le consentement, pour l’absence de peur? À quel moment peut-on aborder, envisager, une agression « non judiciarisable », si discuter d’une relation sexuelle non désirée fait, dans l’absolu, de l’initiateur un salaud? Si l’idéal adolescent reste de faire « l’amour », comment peut-on faire du refus ou du « forcé » autre chose qu’un symbole de la relation affective?

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nov12

chernandezca
Merci. Un texte brillant qui relève le débat. C’est le vôtre que je vais promouvoir sur les réseaux sociaux et non celui brouillon de M. Foglia. Je ne comprends ni le contenu, ni l’intention du sien. Malheureusement il aura un écho retentissant en ouvrant la porte à la riposte masculiniste qui s’était tenue en réserve jusqu’à présent …pour une fois. « Les femmes racontent, elles ne dénoncent même pas » commente Lise Ravary en onde à l’émission C’est pas trop tôt. Je me dis que c’est comme si les femmes s’auto-organisaient une commission vérité comme 1ère étape de la réconciliation (avec elles même).

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nov12

Nomadesse
« Dire que quelqu’un participe de la culture du viol parce qu’il banalise les actes de tripotage des mononcles ou des maris qui pratiquent impunément le « viol consentant », ce n’est pas le traiter de violeur ou l’accuser de complicité de viol. C’est dénoncer un mécanisme par lequel quelqu’un se sent justifié de normaliser un comportement abusif, c’est refuser que soit diminuée la douleur d’autrui parce qu’il n’y aurait pas (selon quels barèmes) de traumatisme ou qu’un contrat de mariage inclut aussi le pire. »
Un texte tout en nuances, remarquablement bien écrit et balancé. Un grand merci.

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nov12

Céline Hequet
Ton texte s’applique bien aux dénonciations du type #AgressionNonDénoncée mais très peu, selon moi, à ce qui se passe en ce moment dans le mouvement étudiant. Je me demandais si tu avais suivi de près les processus de justice transformatrice qui sont en train d’être mis en place. Si oui, je serais curieuse de savoir comment on peut nuancer le lynchage public et la délation dans ce contexte.

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nov13

Marie-Christine Lemieux-Couture
D’abord en tâchant de ne pas mélanger les choses. Nommer, ce n’est pas lyncher, ce n’est pas de la délation, ce n’est pas condamner. Nommer, c’est une première étape vers un processus de justice transformatrice, mais ce n’est pas le processus en tant que tel. On peut nommer dans différent contexte. À l’intérieur d’un groupe fermé, par exemple, ou dans un canal officiel, ou publiquement.
Dans le cas qui vous intéresse, il s’agit d’une action directe de dénonciation. Si je me questionne, ce n’est pas sur le fait que des noms aient été balancés. Je ne condamne pas les profs de facto, ce n’est pas à moi de le faire. Mais ce n’est pas la sortie de ces noms qui me préoccupe. Je me questionne sur pourquoi l’anonymat? Pourquoi une action qui ne révèle pas exactement les actes commis? Pourquoi ne pas avoir passé par les canaux officiels? Et je ne peux m’empêcher de penser que cet anonymat est motivé par la peur, que l’action remplace l’incapacité de parler, que les canaux officiels sont défaillants.
À partir de là, que peut-on faire? Juger et condamner les actes, victimiser les profs? Non, ça ne me rentre pas dans la tête. Tenir compte des dénonciations. Ouvrir une enquête en tout respect de la présomption d’innocence. Offrir des ressources. Questionner le système officiel de plaintes. Ouvrir des lieux de discussions sur les correctifs à apporter pour faciliter le bris du silence et encadrer des victimes, etc.
Le recteur qui dit ne même pas vouloir rencontrer les professeurs ciblés parce que l’action est à discréditer fait partie du problème. Il devrait prendre les accusations au sérieux, ce qui ne l’empêche pas toutefois rappeler qu’il existe d’autres façons (qui serait selon lui plus acceptables) de se faire entendre.

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