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Pour Angela, qui va à l’université

Publié par Marie Christine Bernard le 26 avr, 2014 dans Opinion | 6 commentaires

Il y a quelques années déjà, j’ai publié un roman jeunesse intitulé: « La Confiture de rêves ». Ceux qui l’ont ouvert, depuis, ont peut-être vu cette décicace: « Pour Angela, qui va à l’université ». Il y a une histoire derrière cette dédicace, une histoire qui a trouvé sa conclusion cette semaine. Une conclusion en tout cas. Une belle.
C’est l’histoire d’une jeune femme originaire de la communauté Crie d’Oujé-Bougoumou (près de Chibougamau) qui est venue faire un d.e.c. en soins infirmiers au Collège d’Alma. Elle devait donc poursuivre le programme le plus difficile du cursus collégial et ce, en français. Sa troisième langue, après le Cri et l’anglais. Ç’a été dur. Les cours de littérature et de philo, entre autres, demandaient des travaux écrits et des lectures dont la difficulté la jetait parfois dans des colères redoutables. Impuissance, frustration, déception ont été son lot quotidien. Chaque succès était gagné de haute lutte. J’ai vu cette guerrière se battre. Travailler fort. Recommencer, inlassablement, les exercices difficiles. Poser des questions, demander de l’aide, faire du rattrapage au besoin. Le support socio-académique que le collège d’Alma offre à cette clientèle, par le biais de son Centre autochtone, où j’oeuvre à côté de ma tâche d’enseignante depuis 2002, a bien sûr été partie prenante de son parcours. Mais c’est elle, et elle seule, qui a réussi ses cours, l’un après l’autre, tout en élevant ses deux enfants et en gérant les nombreuses (vous seriez étonnés, sérieux) problématiques inhérentes à la condition d’autochtone en ce pays.
Mais quel est le lien avec le roman jeunesse? J’y viens.
Depuis que j’ai commencé à enseigner, en 1992, je fais la lecture à mes élèves en début de cours. Bien sûr, c’est sous l’influence du cher Pennac, dont ma mère m’avait offert Comme un roman pour célébrer ma première job de prof, au cégep de Matane. Ce livre a beaucoup influencé mon enseignement, et l’influence encore. J’y replonge de temps en temps. Mais bon, je m’éloigne de mon sujet.
Cette année-là, donc, à la session d’automne, il y a dans ma classe cette belle grande jeune femme Crie, et une autre belle grande jeune femme, Innue celle-là. Contrairement à mon habitude d’offrir plutôt des classiques en lecture, je décide de lire un manuscrit qui traîne dans mes tiroirs, une histoire de sorcière ostracisée et d’enfants rebelles, et de problèmes liés à la différence. On teste comme ça nos histoires, des fois. Chaque cours commençait par un chapitre, ou deux, des Mésaventures de Grosspafine. On a eu bien du plaisir. Et en particulier cette jeune femme Crie, qui à la fin de la session m’a vivement conseillé de publier ce livre.
Au retour des vacances de Noël, la jeune femme Crie vient me visiter dans mon bureau pour m’annoncer deux choses: 1. qu’elle est contente d’être à nouveau dans ma classe; 2. qu’elle a acheté des livres pour ses enfants pour Noël, et qu’elle leur fait désormais la lecture. Et puis elle m’a fait une confidence étonnante (enfin à l’époque ça m’a étonnée…).
— Tu sais, tu as été la première personne de ma vie qui m’a lu une histoire.
Elle a la jeune trentaine, alors.
— Mais ta maman ne t’a jamais, jamais lu d’histoires, même quand tu étais toute petite?
— Ma maman, elle ne sait pas lire.
Révélation. Maintenant je le sais que bien des jeunes qui arrivent des communautés autochtones pour faire leur cégep ont été élevés par des parents ne sachant pas lire, ou à peine. On mesure le degré de difficulté supplémentaire: jamais ces parents n’ont pu aider aux devoirs durant le parcours primaire et secondaire. Jamais. On mesure aussi, par la même occasion, le degré de détermination nécessaire pour poursuivre au collégial et réussir. Je dois préciser que l’analphabétisme régresse quand même au sein des Premières Nations puisque de plus en plus de jeunes accèdent aux études supérieures. Mais ça c’est un autre dossier. Revenons à la jeune femme Crie.
En sortant de mon bureau, elle s’est retournée pour me dire: « Tu sais, tu dois vraiment publier ce livre pour les enfants. Il est  bon. » Je lui ai répondu que je le proposerais à un éditeur et j’ai ajouté un peu à la blague que, s’il était publié, je le lui dédierais. Promis. On s’est quittées en riant et en se souhaitant bonne session.
J’ai fini par proposer mon manuscrit à un éditeur. L’année suivante, le  jour même où j’ai eu le oui de Hurtubise pour la publication de La Confiture de rêves, la jeune femme Crie m’a appris qu’elle avait été acceptée à l’université, au BAC en Soins infirmiers. Alors j’ai ajouté à mon manuscrit la dédicace. « Pour Angela, qui va à l’université ». Je ne le lui ai pas dit. Le soir du lancement, quelques mois plus tard, elle était là, et elle a découvert son nom imprimé dans le livre avec la même encre que l’histoire. Les larmes aux yeux toutes les deux, nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre. Nous avions en partage la réalisation d’un rêve. Et dans son cas, c’était un exploit pas mal plus impressionnant que  le mien.
La jeune femme Crie, désormais mon amie, a entamé, donc, son parcours universitaire. Nous avons gardé contact, même si nous nous voyons très peu, chacune prise par sa vie. Nous nous racontons souvent nos rêves nocturnes, par écrit, et nous amusons à les analyser. Ce jeu dure depuis… je ne sais plus. Au moins depuis la fin de son cégep. J’aime cette jeune femme de caractère, profondément. Et elle est pour moi d’une grande inspiration, comme la plupart des jeunes femmes autochtones qui font des études collégiales. Si vous saviez tous les défis qu’elles doivent relever, tous les obstacles qu’elles doivent surmonter. Cela force l’admiration. Mais ça aussi c’est un autre dossier. On en reparlera une autre fois, d’accord?
Parce que le sujet de ce texte, c’est cette belle grande jeune femme Crie.
Cette semaine, elle a obtenu son diplôme universitaire. Elle est maintenant infirmière bachelière. Elle a dû faire ses études tout en travaillant à l’hôpital, et en élevant, toujours seule, ses deux enfants. C’est pas mal plus long comme ça, les études. Pendant qu’elle poursuivait son rêve, moi, j’ai eu le temps de publier deux recueils de nouvelles, un autre roman jeunesse et quatre romans grand public. C’est vous dire. Faut-il en avoir, de la persévérance, pour surmonter tous les découragements, tous les « j’y arriverai jamais », toutes les envies d’abandonner. Elle n’a pas abandonné. Elle a tenu le cap. Jusqu’au bout.
Et voilà qu’elle est la première de sa lignée, la première, dis-je, depuis vingt mille ans qu’elle existe cette lignée, à obtenir un diplôme universitaire. La première.
Watchyia nishiimh Angela, ma belle Sauvage aux ailes déployées. Agoodah!
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6 Commentaires

avr26

Cotton Kathleen
Toujours aussi inspirante Marie-Christine… mais avant tout chapeau à cette guerrière qui a su relever tous les tabous et les obstacles. Personne ne pourra jamais lui enlever cette force de caractère. BRAVO à l’auteure mais aussi à la diplômée!

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avr26

Annie Gagnon
Merci, madame Bernard, de nous partager cette histoire à la fois émouvante et inspirante. Je me dépêche de transmettre votre récit à mes collègues du comité d’intégration de la clientèle autochtone de notre collège.
Annie Gagnon, enseignante au cégep de Baie-Comeau

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avr26

Marie Christine Bernard
Ça fait plaisir. On s’est peut-être croisées au colloque à Chicoutimi?
Il y a d’autres textes à « saveur » autochtone sur cette plateforme, au cas où vous seriez intéressée.
Bonne journée!

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avr26

claude Couture
beau témoignage MCB, merci. Ça donne à questionner pour qui et comment le cursus collégial et universitaire est élaboré ?

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avr26

Marie Christine Bernard
Les cursus sont élaborés pour la majorité. Pour les élèves dont la poursuite des études présente des difficultés particulières, il y a des structures de soutien. Mais la problématique spécifique des étudiants autochtones débute au primaire et au préscolaire. C’est difficile de suivre le discours ordinaire d’un prof occidental lorsque tu n’a pas les référents culturels de base. Par exemple, toutes les métaphores du langage usuel: l’homme est un loup pour l’homme, un mot à mille piastres, pleuvoir des cordes, etc., les expressions en lien avec l’agriculture ou autre activité strictement sédentaire, il y en a plein, tout ça fait en sorte que les élèves perdent des grands bouts du message. Sans compter, évidemment, le problème lié au fait que le français est une langue seconde, ou même troisième pour beaucoup d’entre eux.
Il a aussi un aspect qu’on considère trop peu à mon avis. Les profs qui enseignent dans les communautés sont rarement autochtones, d’une part. Et ils ne restent que très peu. Il y a un gros roulement de personnel, parfois un prof (j’ai été témoin d’une démission du genre) va quitter en pleine année scolaire, laissant les jeunes entre les mains d’un remplaçant (n’importe qui qui veut bien, et le n’importe qui n’a pas souvent une formation adéquate…). Résultat: les jeunes passeront au degré suivant sans avoir terminé le programme de l’année.
Tant que les gouvernements dépenseront 5000$ par jeune autochtone aux études, contre 12000$ par jeune québécois, il sera difficile de juguler ce genre de problème…
Le problème ne vient pas du cursus, donc, mais du parcours à effectuer avant d’y arriver.

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mai01

Nomadesse
C’est vraiment un article intéressant et touchant. Félicitations à ta grande sensibilité envers cette femme courageuse et déterminée.

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